Elections fédérales en Allemagne : Entre projections françaises et réalités allemandes…

La campagne électorale pour les élections législatives s’est achevée dimanche 26 septembre au soir sur la débâcle attendue des conservateurs (CDU/CSU) et une victoire de justesse des sociaux-démocrates (SPD). Pour l’heure, le suspense persiste sur le « successeur » d’Angela Merkel. Pour autant, il n' a aucune incertitude sur la stabilité et la force de la démocratie outre-Rhin.

Retour sur des résultats sans surprise

Outre quelques candidatures sans affiliation partisane, pas moins de 44 partis se sont soumis au vote des électeurs allemands, dont la participation à 76,6% mérite d’être soulignée.

Les députés sociaux-démocrates (SPD) ont rassemblé 25,7 % (+ 5,2 points par rapport à 2017) des suffrages et donné ainsi une longueur d’avance à leur candidat à la chancellerie, Olaf Scholz. Les chrétiens-démocrates (CDU) et leurs alliés bavarois, les chrétiens-sociaux (CSU), ont totalisé 24,1 %, soit un recul de près de 9 points. Le parti emmené par Annalena Baerbock, Bündnis 90/Die Grünen, concrétise l’attrait retrouvé pour l’écologie politique dans l’opinion allemande depuis 2018 ; après une traversée du désert depuis la fin de la coalition gouvernementale SPD/Verts en 2005, le parti vert a remporté 14,8 % des voix (+ 5,9 points). Enfin, dernier acteur de taille, les libéraux allemands (FDP) ont obtenu un score flatteur de 11,5 %, légèrement supérieur à celui obtenu en 2017 (+ 0,8 point).

La partie de poker entre les quatre partis a commencé dès la Berliner Runde, qui a rassemblé les leaders des différents partis sur le plateau de la première chaîne allemande dimanche soir. Puisque le SPD est arrivé en tête du scrutin, les revendications d’Olaf Scholz à conduire le futur gouvernement sont pour le moins légitimes : d’ailleurs la débâcle des conservateurs allemands, à elle seule, représente d’ailleurs un appel sans ambiguïté à un renouvellement à la tête de l’exécutif allemand, dominé depuis 2005 par le parti d’Angela Merkel.

Si Armin Laschet s’est montré volontariste dans un premier temps, il a indiqué dès le lendemain que la CDU/CSU était « prête au cas où » le SPD, le FDP et les Verts ne trouveraient pas d’accord, avant que son partenaire et néanmoins rival, Markus Söder (CSU), ne concède, 48 heures à peine après l’issue du scrutin, que la probabilité qu’une coalition dite « Jamaïque » (CDU/CSU-Verts-FDP) était mince. Les événements survenus au sein de la CDU depuis dimanche soir indiquent en tout cas la nécessité de renouveau dans le camp conservateur.

Quoi qu’il en soit, l’écart est si faible entre Scholz et Laschet que ni l’un ni l’autre n’est maître de son destin, qui se trouve entre les mains des deux partis qui sont appelés à mettre une coalition gouvernementale sur pied aux côtés du SPD ou de la CDU/CSU : ce sont les Libéraux du FDP et les Verts qui ont le rôle de « faiseur de roi ». Il n’est de secret pour personne que les Verts privilégient une coalition avec les sociaux-démocrates, les Libéraux avec les chrétiens-démocrates et chrétiens-sociaux. En tout état de cause, ils ont manifesté leur volonté de sortir de l’opposition dans laquelle ils se trouvent depuis 2013 pour les premiers et depuis 2005 pour les seconds, ce qui devrait – mais restons prudents ! – écarter la troisième option, encore improbable la semaine précédant le scrutin puisque CDU/CSU et SPD ne totalisaient conjointement que 48% des intentions de vote : un échec des pourparlers, comme il y a quatre ans, pourrait conduire les « grands partis » (Volksparteien) traditionnels à constituer par défaut une nouvelle Grande coalition (« GroKo »). Cette configuration est certes rejetée par la majorité des électeurs allemands mais elle est de nouveau possible mathématiquement puisque CDU/CSU et SPD rassemblent 402 sièges sur 735. En tout état de cause, les jeux sont loin d’être faits.

 

 

 

« Quel chancelier pour la France ? »

A Paris, les spéculations concernant les contours du futur gouvernement allemand vont bon train et la question qui occupe – somme toute légitimement – les médias français est de savoir qui d’Armin Laschet ou d’Olaf Scholz est le plus compatible avec le président français Emmanuel Macron – si tant est.

Ministre plénipotentiaire du gouvernement fédéral pour les relations franco-allemandes, en charge de la coordination de la coopération culturelle et éducative au sein du Conseil des ministres franco-allemand, le Ministre-président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie Armin Laschet est considéré comme plus « francophile » que l’ancien Premier maire de Hambourg Olaf Scholz. Le volontarisme résolument pro-européen, sans doute affiché de manière plus ostentatoire par Laschet que par Scholz, est apprécié à Paris, ce qui conforte le cliché largement répandu de ce côté du Rhin que l’européisme fait partie de « l’ADN rhénan ». L’entourage du candidat chrétien-démocrate compte en outre le député du Bade-Wurtemberg Andreas Jung qui, en tant que co-directeur de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, avec son homologue Christophe Arend (LREM), a très activement soutenu la coopération transfrontalière dès le début de la pandémie de COVID-19. L’orientation du candidat CDU/CSU, de prime abord propice à une relation franco-allemande harmonieuse, comme les déclarations favorables à la nécessaire poursuite de l’intégration européenne ne peuvent être perçues que positivement par l’exécutif français.

Le candidat SPD sera-t-il pour autant moins enclin à favoriser une intégration européenne favorable aux positions françaises ? Au cours de la législature 2017-2021, le ministre des Finances Olaf Scholz a adopté, face aux positions françaises lors des discussions avec le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire, une attitude plus ouverte que ne le ferait aujourd’hui son probable successeur, le chef des files des Libéraux, Christian Lindner, que ce soit sur un projet d’une assurance-chômage européenne, sur la taxe sur le numérique visant à créer des ressources propres ou encore sur une réforme de la zone euro. Ne parlons pas des projets d’investissements communs dans le cadre d’un hypothétique deuxième plan de relance qui vont à l’encontre de l’orthodoxie budgétaire prônée avec force conviction par le FDP – … et relayées par les deux candidats à la chancellerie.

Par conséquent, on peut supposer que Scholz devance Laschet de quelques points sur le baromètre du gouvernement français. Mais pour dire les choses de manière quelque peu simpliste et triviale, Paris devra finalement composer avec ce qui résultera des négociations qui démarrent. L’absence de réaction officielle à Paris indique en tout cas deux choses : l’issue des négociations ne sera pas sans influence sur la déclinaison du triptyque « Relance – puissance – appartenance » qui doit sillonner la présidence du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022 et dont les détails n’ont pas encore été divulgués.

Quoi qu’il en soit, Paris attend depuis septembre 2017 une fameuse « réponse allemande » aux appels du président français lors de son célèbre discours de la Sorbonne. L’initiative commune franco-allemande de mai 2020 qui a conduit en juillet au plan de relance « NextGeneration EU » ne saurait en effet être considérée comme ladite « réponse allemande ». Prenons un seul exemple : si le président français a appelé de ses vœux « une Europe qui aura réitéré [à l’horizon 2025] l’expérience de la dette commune éprouvée avec le plan de relance pour investir dans sa protection », tout porte à croire que ni Laschet ni Scholz n’abonderont dans ce sens, à plus forte raison si le ministre des Finances devait appartenir au camp libéral. En outre, les traditionnelles pommes de discorde sur les questions stratégiques subsisteront : certes les chrétiens-démocrates/-sociaux se sont rapprochés des positions françaises sur la nécessité d’une plus grande indépendance stratégique de l’UE depuis les événements d’Afghanistan, mais l’« autonomie stratégique » souhaitée par le gouvernement français n’emporte pas l’adhésion : si les Verts semblent soutenir cette ambition, il semble que le parti d’Annalena Baerbock ne soit pas non plus en phase avec la ligne défendue à Paris sur la question des dépenses militaires.

Enfin, du point de vue français, la priorité est la poursuite du développement du partenariat franco-allemand, qui, en dépit d’une relation franco-italienne sera probablement institutionnalisée par un autre traité bilatéral dans les mois à venir, demeure(ra) un pilier fondamental du processus d’intégration européenne. Quel que soit le futur chancelier fédéral, le lien franco-allemand doit être fonctionnel. L’élite française en est assurément consciente, tout comme elle est consciente de ce que les relations politiques ne sont que rarement harmonieuses, mais toujours constructives. Ni Armin Laschet ni Olaf Scholz ne remettront en question la longue tradition de coopération bilatérale à tous les niveaux - politique, économique, culturel ou de la société civile. Et les Verts comme les Libéraux ne remettront pas non plus en cause ce bel héritage, car les quatre partis sont résolument « pro-européens ».

Dans l’immédiat, la crainte majeure à Paris est que les négociations en vue d’établir un contrat de coalition ne s’éternisent et que la France ne puisse bénéficier de l’appui du nouveau gouvernement à Berlin sur certains dossiers d’intérêts stratégiques lors de la présidence française de l’Union européenne à partir du 1er janvier 2022.